Produire du CBD, une fausse opportunité économique

Avis aux futurs chanvriers, nous sommes encore régulièrement contactés par des personnes désireuses de cultiver du chanvre CBD. On invite ceux qui souhaitent devenir chanvrier à d’abord se renseigner sur la réalité du marché. Et ça commence avec cet article.

Se lancer dans la production de CBD ? Pas sans connaître la réalité du marché.

La plupart s’imaginent déjà les poches pleines et la belle vie. La réalité c’est que la majorité des producteurs de chanvre sont pauvres. Le plus difficile dans ce métier n’est pas de cultiver, mais de vendre. Si ça ne se sait pas, c’est que les producteurs ne crient pas sur les toits qu’ils peinent à vendre par peur du jugement et par peur de décrédibiliser son entreprise.

Pourquoi est-ce difficile de vendre sa production ?

Les CBD shops dans leur majorité, ne font toujours pas l’effort de la fleur française, ou à des tarifs intenables pour le producteur. Il faut dire que pour eux aussi, la situation devient critique.  Ils achètent pour la plupart à des grossistes de 0,20 € à 1 € le gramme pour le revendre 5€ voire 6€. Même si vous vous alignez sur ces prix, il y a peu de chance que vos fleurs les intéressent. Le mythe de la fleur suisse inégalable en qualité persiste. Ils vous diront que leurs clients n’achèteront pas français. Certains clients perpétuent le mythe suisse, alors que du 1 % est cultivé en France dans le secret le plus absolu faute de pouvoir l’afficher pour des raisons de légalité. Aussi, les cannabinoïdes de synthèse prennent une place grandissante dans ce marché. Vendre de la saleté paye, vendre ses fleurs bio c’est la galère. C’est aussi ça le résultat de la prohibition du THC : les consommateurs sont prêts à fumer n’importe quelle molécule de synthèse tant que ça « défonce ». Ces molécules inondent les CBD shop qui parfois ne font que répondre à une vraie demande de clients. Vous aurez plus de succès si vous vendez des fleurs aspergées de cannabinoïdes de synthèse que des fleurs sorties de votre prairie bio. 

Les chanvriers auraient aussi pu pendant les blocages d’agriculteurs prendre part à la révolte en mettant leur stand devant les franchises qui ont toujours rechigné à vendre français, devant les enseignes qui vendent des néo-cannabinoïdes. On aurait pu faire un feu de fleurs invendues en 2023. Devant chez Darmanin qui continue sa croisade anti-cannabis ? Ou encore à Bruxelles qui autorise l’importation de fleurs étrangères sans interdire les néo-cannabinoïdes ?

Et si je vends tout à un grossiste ?

Les grossistes qui achètent 50 ou 100 kg de production d’un coup existent de moins en moins. Eux aussi ont des dettes auprès des chanvriers qu’ils n’arrivent plus à payer dans les temps. La surproduction du marché n’épargne personne. Vous n’arriverez à vendre vos fleurs à un grossiste que si vous faites de la qualité exceptionnelle. Or, de la qualité exceptionnelle demande beaucoup de travail, et se fait forcément sur de la petite surface (500 plantes par personne max). Vous récolterez peu, donc ce ne sera pas économiquement intéressant pour vous de vendre vos 50 kg à 500 €/kg au rare grossiste qui sera d’accord de vous les prendre. Vous ferez un Chiffre d’Affaires de 25000 €, auquel il faut retirer cotisations, investissements et impôts. Au final, vous aurez moins qu’un Smic. Ça c’est dans le cas optimiste où vous aurez trouvé un acheteur.

Si vous ne faites pas de qualité exceptionnelle, on vous proposera 200€ le kilo si vous avez « la chance » de trouver un grossiste qui vous rachète de la matière. Elle finira probablement en extraction pour faire des produits dérivés au CBD ou finiront chez les labo. Indirectement vous engraisserez l’industrie pharmaceutique de plus en plus présente dans le CBD. 

Alors qu’en 2022 déjà beaucoup de producteurs se sont retrouvés avec des fleurs sur les bras, l’année 2023 a vu plusieurs fermes de CBD mettre la clefs sous la porte. Les stocks de fleurs invendues, parfois de bonne qualité, sont bradés. Ce sont tous les autres producteurs qui sont impactés par la chute des prix dûs à la sur-production. Nous sommes encore contactés par des collègues qui cherchent désespérément à vendre leurs fleurs. Si on aimerait bien pouvoir les aider, ce n’est pas possible car au Griffoul aussi les temps sont durs. On ne peux plus prendre de salariés, et on s’endette de cotisations MSA malgré le fait qu’on se paye au smic et qu’on a divisé l’équipe par deux. Depuis 6 mois, nous avons perdu 60 % de revendeurs pro, la plupart ayant mis la clef sous la porte, les autres préférant se fournir industriel car moins cher. Pourtant nos produits ont une excellente réputation, et notre marque de producteur n’est pas inconnue au bataillon.  

Et les CBD shop alors ?

Côté CBD shop, c’est pire. On peut appeler ça une hécatombe, vous avez du le remarquer : ils ferment les uns après les autres. Les success story du CBD sont loin derrière. Les plus courageux installés avant la légalité ont parfois fait fortune, non sans quelques soucis. Ceux arrivés derrière quand tout était légal n’ont pas connu les mêmes heures de gloire économique. Et aujourd’hui, après avoir décrié la fleur française, certains patrons de CBD shop se sont lancés dans la productions de CBD. Mais même vendre sa propre production en boutique n’est pas le Graal, on le constate nous-mêmes avec notre boutique à Albi. On ne perd pas d’argent, mais on n’en gagne pas. Sans notre apprenti financé cette année par l’État, on l’aurait déjà fermée. 

Les sites de vente en ligne qui proposent des fleurs à 1€ le gramme ont détourné pas mal de clients chez eux. Les clients savent que c’est de piètre qualité, mais c’est le portefeuille qui choisi leur fournisseur. On aura beau mettre nos fleur à 3 ou 4€ le gramme, on ne fera jamais le poids face à ces monstres en ligne. 

Pour survivre : se diversifier

Nos conseils aux futurs chanvriers

À vous qui vous lancez en 2024 dans la production de CBD, nous vous conseillons de bien réfléchir à votre circuit de commercialisation. Le plus grand conseil est de ne pas faire que du CBD mais d’être en polyculture. Vous aurez vos fleurs sur les bras, mais pas vos tomates ou vos pâtés. Nous déconseillons à toute personne qui n’est pas du métier agricole de se lancer dans ce projet. Vous y perdrez du temps, de l’argent et de l’espoir. Et vous participerez malgré vous à faire chuter cette filière en bradant votre production pour récupérer votre investissement.

Ceux qui peuvent avoir une vraie opportunité économique avec le CBD sont les maraîchers, ou tout producteur. Vous êtes déjà installés avec votre circuit de vente directe à la ferme et sur les marchés. Vous avez déjà votre clientèle et les investissements pour la ferme sont faits. Dans ces uniques cas, le CBD représente un complément de revenu non négligeable. A vous seuls nous disons « foncez ! »

Il y a les virtuoses du cannabis, avec une connaissance technique, biologique d’un niveau quasi scientifique. Ces profils qui veulent se lancer dans la production de CBD, on ne peut que vous dire allez-y. La filière ne devrait comporter que des gens comme vous. Mais pour en connaître quelques-uns qui ont passé le pas l’année dernière, la revente est une vraie galère pour eux aussi, malgré le talent. Attendez-vous à tomber de haut côté revente. Vous relèverez le niveau global de la production française, mais ce sera une sinécure.

Tous ceux qui vous diront le contraire sont des gens qui ont un intérêt direct à augmenter le nombre de chanvriers en France. Entreprises de formation, d’accompagnement à devenir chanvriers, semenciers, vendeurs de matériel pro, associations de chanvriers qui demandent des cotisations, ont tous intérêt à ce que de nouveaux s’installent.

Conclusions

A l’image de notre société, la filière CBD c’est la loi de la jungle. La bonne nouvelle c’est qu’il reste des gens avec une éthique, un esprit de solidarité et de justice. 

La diversification de l’activité pro semble aujourd’hui obligatoire pour espérer vivre de sa ferme. 

Serrez-vous les coudes, ne soyez pas naïfs, n’espérez pas devenir riches. N’attendez rien des autres, soyez le plus autonome possible, et surtout étudiez le marché avant d’investir vos 3 sous dans cette filière. Et alors les choses se passeront bien pour vous. Bon courage. 

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